Filibustering, motion de censure et autres clés de la réforme controversée des retraites en France

Il s’agit de la réforme clé du second mandat du président français Emmanuel Macron. Mais l’Assemblée nationale n’a débattu que de trois de ses articles sans atteindre le septième, qui porte l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. Elle n’a pas non plus voté. La procédure choisie par l’exécutif a imposé une limite et le débat a été conclu à minuit du vendredi au samedi..
Plus de 7000 amendements devaient encore être débattus, provenant principalement de l’extrême gauche, qui n’a pas accepté de les retirer comme le demandaient les syndicats et comme le faisaient les socialistes, les communistes et les écologistes. Deux sites semaines de querelles parlementaires ont abouti avec le vote, aux premières heures du samedi matin, d’une motion de censure par Marine Le Pen. Le débat se déplace maintenant au Sénat.
Que propose la réforme des retraites de Macron ?
Macron, réélu président en 2022 face à Le Pen, avait dans son programme le report de l’âge de la retraite de 62 à 65 ans. Une mesure justifiée par la nécessité d’équilibrer les comptes et partagée par le candidat de la droite classique. Les candidats de gauche et Le Pen s’y sont opposés. Faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale après les élections législatives de l’été dernier, le gouvernement conduit par Elisabeth Borne. a abaissé l’âge légal de la retraite à 64 ans dans le projet de loi approuvé par le conseil des ministres. à la fin du mois de janvier. Cette mesure visait à s’assurer le soutien des Républicains (droite homologue du PPE).
Le projet de loi supprime également les régimes spéciaux qui garantissent la retraite anticipée avec meilleure pension aux travailleurs des entreprises publiques comme les transports parisiens.. Cette réforme avait déjà été approuvée par l’Assemblée nationale lors du premier mandat de Macron, mais l’épidémie de Covid a empêché l’aboutissement du processus parlementaire. A cette époque, il y avait déjà une grande opposition des syndicats avec d’énormes manifestations et la plus longue grève de l’histoire sur les chemins de fer et les transports publics à Paris.
1️⃣ Le gouvernement Macron Borne veut passer la retraite à 64 ans
2️⃣ Il invente des motifs pour faire passer la pilule et réduit le débat démocratique à 10 jours
3️⃣ La NUPES démontre et démonte tous ces mensonges
4️⃣ Prochaine étape dans la rue : blocage total !#GreveGenerale pic.twitter.com/6CDycAQUIy– Fabrice Delaune φ (@FabriceDelaune) 18 février 2023
Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi une procédure qui limite le débat ?
Pour éviter l’usure du débat parlementaire et pour éviter la pression de la rue. Alors que l’opinion publique s’oppose au report de l’âge de la retraite et que tous les syndicats organisent des journées de protestation avec plus de deux cents manifestations rassemblant plus d’un million de personnes dans la rue, le gouvernement a décidé de ne pas se laisser faire. craint que certains de ses députés ou le groupe de droite fragile ne résistent pas à la pression. et finiraient par s’abstenir ou voter contre. Macron dispose de 246 députés entre ses fidèles et ceux de ses alliés, le centriste François Bayrou et l’ancien Premier ministre Édouard Philippe. Les Républicains sont 64, la majorité de la chambre s’établit à 289.
C’est pourquoi il se réfugie dans une procédure législative inhabituelle bien que prévue par l’article 47(1) de la Constitution qui limite le temps de débat. Les députés ont eu 20 jours pour débattre en commission et en séance plénière qui s’est terminée à minuit hier soir. Le débat n’ayant pas été conclu, le projet de loi est passé au Sénat dans sa formulation originale.
Pourquoi y a-t-il tant d’amendements ?
Pour faire traîner le débat et épuiser le gouvernement. Sur les 20 400 amendements déposés sur le projet de loi, 17 800 provenaient de la Nouvelle Union Écologique et Sociale du Peuple (NUPES). Cette obstruction visait à accuser le gouvernement d’empêcher le débat démocratique. A son tour a facilité la riposte des partisans de Macron. qui les ont accusés d’entraver le travail du parlement.
Au sein du SNUEP, il y a des différences tactiques : les insoumis d’extrême gauche (13 000 amendements) sont partisans de se battre sur tous les articles tandis que les communistes (1 169), les socialistes (1 413) et les écologistes (2 349) veulent à tout prix débattre de l’article 7, celui qui fixe l’augmentation de l’âge de la retraite. Pour que tout le monde ait son mot à dire lors du vote.
A la demande d’abord de Laurent Berger, leader de la CFDT, rejoint ensuite par Philippe Martinez, leader de la CGT, la commission de l’emploi et des affaires sociales de l’Assemblée nationale a décidé de ne pas débattre de l’article 7. partenaires minoritaires de la coalition de gauche retirent quelque 3000 amendements.. Les refuseniks ont débattu de changer de stratégie mais leur leader, Jean Luc Mélenchon a tiré la sonnette d’alarme sur Twitter et, finalement, ils ont refusé. Il restait donc hier soir plus de 7000 amendements lorsque la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun Pivet, a annoncé la fin de la procédure parlementaire.
Le gouvernement pourrait-il provoquer un vote ?
Oui. Dans tous les projets de loi de finances, et celui-ci a été accommodé en étant présenté comme une “rectification du financement de la Sécurité sociale”, le gouvernement pouvait invoquer à tout moment l’article 49.3 de la Constitution. Celui-ci prévoit que le projet de loi est approuvé sauf si une motion de censure est adoptée et débattue dans les 48 heures. Si la motion de censure est adoptée, le gouvernement démissionne et le projet de loi devient caduc. Si elle échoue, le projet de loi est considéré comme adopté.
C’est ce qu’a fait le Premier ministre Édouard Philippe lors du premier mandat de Macron avec le projet de réforme supprimant les régimes spéciaux de retraite. Il a procédé à la convocation de son cabinet – toujours présidé par le chef de l’État – et a annoncé à l’Assemblée, un samedi après-midi, qu’il invoquait le 49.3. Deux motions de censure ont été rejetées et le projet de loi a été approuvé.. Notez que dans la France de la Cinquième République, le président ne pouvait même pas mettre les pieds à l’Assemblée nationale, il ne prenait donc pas part à ces affaires. Tant le 49.3 que le 47.1 sont des articles qui visent à renforcer la position du gouvernement vis-à-vis du Parlement. La Constitution de la Cinquième République, taillée sur mesure pour de Gaulle, cherchait à éviter l’instabilité de la Quatrième, un régime parlementaire qui a consommé 20 gouvernements en 13 ans.
L’Assemblée nationale n’a pas adopté la retraite à 64 ans ! La loi de Macron est rejetée massivement dans le pays, le combat continue.
A partir du 7 mars, on bloque tout, jusqu’au retrait !#AssembleeNationale #greve7mars # pic.twitter.com/CcPY6ymtBd
– Danielle Simonnet (@SimonnetDeputee) 17 février 2023
Quel a été le ton du débat au cours des deux semaines de la plénière de l’Assemblée ?
Le mot le plus répété dans les éditoriaux a été celui de débat “violent”. Il y a eu des bagarres presque tous les jours. Le ministre du Travail Olivier Dussopt, ancien socialiste qui s’était opposé au report de la retraite, a tout entendu. Deux députés LFI ont été sanctionnés, l’un par une interdiction de 15 jours pour un tweet injurieux, l’autre par un rappel à l’ordre pour avoir traité le ministre du Travail d'”imposteur” et d'”assassin”.
Dussopt est monté au créneau. Au terme de 73 heures de débat en plénière, Dussopt s’en prend aux refuseniks : “Vous m’avez insulté pendant 15 jours. Mais personne n’a baissé les bras et nous sommes là, devant vous, en faveur de la réforme. Tandis que les députés rebelles quittaient l’hémicycle en scandant, comme dans les manifestations de rue : “Nous sommes là, nous sommes là ; et si Macron ne veut pas de nous, nous sommes là”. Le ministre, rouge de colère, a crié : “ce sont les 20 500 amendements déposés par les NUPES qui ont empêché l’Assemblée de terminer le débat”. Les députés de la droite, du centre, de l’extrême droite et de la coalition présidentielle, debout, ont entonné “La Marseillaise”.
Que se passe-t-il maintenant ?
La décision du gouvernement d’utiliser la voie 47.1 impose un délai de quinze jours aux sénateurs pour examiner le projet de loi à partir du 28 février. L’exécutif espère que les débats les plus majestueux lui seront favorables. et que son projet ira de l’avant avec les voix de la droite classique, de la majorité de la chambre haute, et les siennes. Depuis plusieurs années, les sénateurs ont adopté des propositions de loi visant à retarder l’âge de la retraite. Une commission mixte des deux chambres sera alors mise en place et, en cas d’accord, le texte final sera soumis au vote des députés et des sénateurs avant la date limite du 26 mars.
Les syndicats ont déjà annoncé qu’ils appelleront à la grève le 7 mars. Contrairement aux cinq journées de protestation déjà organisées, il s’agira cette fois de “stopper la France”. Mieux vaut ne pas se rendre en France ce jour-là, où il n’y aura pas de trains, pas de transports publics et probablement pas d’avions. On spécule déjà sur une pénurie de carburant si les travailleurs se joignent à la grève. Les travailleurs des raffineries et des dépôts de carburant rejoignent la grève. C’est une grève “reconductible”. C’est-à-dire qu’en milieu d’après-midi, l’intersyndicale se réunit pour décider de la poursuite de la grève. On peut parier qu’elle sera prolongée.
[Los sindicatos cifran en dos millones los manifestantes contra la reforma de las pensiones de Macron]
Quel était l’intérêt de la motion de censure de Le Pen ?
Perdu d’avance, mais plus que de témoignage. Elle n’a obtenu que 89 voix pour, soit le même nombre de sièges que son groupe. Le Pen l’a présenté mercredi et il a été voté après minuit. Le Pen l’a justifié pour donner “une opportunité” à tous les députés opposés à la réforme des retraites d’exprimer leur rejet par un vote. Mais personne ne l’a appuyée. L’autre objectif est de gagner en respectabilité en tant que parti et en tant qu’aspirant à la présidence. en 2027, lorsque Macron, qui l’a battue deux fois, ne pourra plus se présenter. Il s’agissait de la troisième motion de censure de Le Pen à l’encontre du gouvernement Borne. La France Insoumise seule, ou avec ses partenaires de coalition, en a défendu six, qui ont toutes été rejetées.
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