Objectif Crimée : les risques nucléaires liés au fait de mettre la Russie dos au mur

L’un des discours les plus courants de la propagande russe, que nous entendons parfois même de la bouche de ses dirigeants les plus représentatifs -Medvedev, Lavrov, Poutine lui-même- est que La Russie ne peut être vaincue. Ils ne font pas référence à la conjoncture militaire où ses troupes doivent abandonner tel ou tel terrain. Il s’agit d’une réflexion conceptuelle : la Russie, en tant que puissance nucléaire, ne peut pas perdre une guerre conventionnelle… parce que, dans ce cas, elle aurait recours à ses armes atomiques et, dans ce cas, nous serions tous perdants.
Chaque fois qu’une telle menace se présente, nous avons du mal à déterminer dans quelle mesure il s’agit d’une pure propagande destinée à la consommation intérieure, un rappel à son peuple de la grandeur supposée de sa patrie, dans quelle mesure il s’agit d’un moyen de dissuader l’ennemi de continuer à envoyer des armes qui pourraient compliquer davantage la victoire conventionnelle… et dans quelle mesure il s’agit de délires véritablement apocalyptiques, de fanatisme suicidaire ce qui peut à un moment donné pousser faire une erreur historique dont nous préférons ne pas réfléchir aux conséquences.
Il semble que l’OTAN, et surtout les États-Unis, n’aient pas non plus été très clairs à ce sujet pendant cette période. Ils savent qu’ils marchent sur des sables mouvants et qu’il faut trouver un équilibre entre un soutien équitable à une nation sauvagement attaquée et les aspects pratiques de l’action de l’UE. de ne pas intensifier les hostilités jusqu’au point de non-retour.. Le facteur aggravant, en outre, est que ce calcul pourrait être interprété comme la faiblesse d’un esprit qui voit dans la faiblesse des autres un motif supplémentaire d’attaque plutôt qu’un geste de simple prudence.
En ce sens, toutes les livraisons massives d’armes à l’Ukraine depuis mars dernier sont assorties de conditions. L’objectif est en tout cas défensif, ce qui a d’ailleurs énervé à plusieurs reprises Volodimir Zelenski et les officiers supérieurs ukrainiens. Ils veulent des armes avec lesquelles ils pourront gagner la guerre contre la Russie, et ils veulent gagner la guerre contre l’Ukraine. retrouver leur intégrité territoriale. L’Occident ne sait toujours pas s’il souhaite vraiment que la Russie perde gros, avec toutes les conséquences que cela implique. Il ne peut pas se décider.
Qu’est-ce que le “sol russe” en ce moment ?
L’une des lignes rouges fondamentales imposées à Kiev par le Pentagone est l’impossibilité d’attaquer le sol russe avec des armes américaines. Nous avons ici un problème majeur, car il est très difficile de savoir exactement ce que l’on entend par “sol russe”. À proprement parler, la Russie a décidé unilatéralement que Zaporiyia, Kherson, Donetsk et Lugansk, dans leur intégralité, sont des provinces de sa fédération. À proprement parler, une attaque contre l’un de ces territoires déclencherait donc des protocoles de défense existentielle incluant l’utilisation d’armes nucléaires.
Cependant, non seulement la Russie n’a pas répondu par des armes nucléaires aux attaques contre les territoires occupés dans ces régions, mais depuis son annexion illégale, elle a même… s’est unilatéralement retiré de certaines parties de ces accords, comme ce fut le cas pour la ville de Kherson et la rive ouest du Dniepr en novembre dernier. L’Ukraine peut donc attaquer ces régions parce que même les Russes ne croient pas ce qu’ils ont eux-mêmes proclamé. À l’autre extrême se trouvent les territoires internationalement reconnus comme russes et limitrophes de l’Ukraine, à savoir les oblasts de Belgorod, Koursk, Rostov, Voronej et Briansk.
Maintenant, alors, Depuis le début, la question est de savoir ce que l’on va faire de la Crimée.. Quel statut lui accorder, qui à son tour est déterminé par le statut que les Russes lui accordent. Il est significatif que la seule fois où Poutine a traversé la frontière pour être vu dans une zone de guerre était après l’explosion du pont de Kerch. Ce geste en dit long sur l’importance de la Crimée et, en particulier, de sa capitale, Sébastopol, pour Moscou. Tant sur le plan culturel et politique que sur le plan économique. Nous parlons d’un port qui, par sa présence imposante, contrôle toute la mer Noire, avec tout ce que cela implique.
La Crimée comme monnaie d’échange
Les États-Unis sentent que la Crimée est une véritable ligne rouge… et que la traverser signifierait une réaction imprévisible de la Russie. Cela l’oblige évidemment à faire très attention, mais expose en même temps une faiblesse : lorsqu’il y a quelque chose que vous ne voulez pas perdre, vous avez deux options : vous engager dans une guerre de missiles nucléaires avec le monde et assurer votre propre destruction… ou négocier. Mais ne négociez pas avec les territoires des autres, comme Poutine a l’intention de le faire s’il a vraiment l’intention de faire quoi que ce soit, mais négociez avec ce que vous considérez comme le vôtre et que vous voyez en danger.
C’est en ces termes qu’il faut comprendre les informations publiées jeudi par le , selon lesquelles le L’administration Biden serait prête à envoyer de plus en plus d’armes afin de menacer au moins la péninsule. Le jeu est d’une énorme subtilité : selon lui, les États-Unis veulent que l’Ukraine apparaisse suffisamment puissante pour pouvoir lancer une attaque réussie contre la Crimée… mais en même temps, ils ne veulent pas qu’elle le fasse. Elle veut simplement que la menace force une négociation équitable plutôt que la cession infâme dont fantasme le Kremlin.
Cette tentative de mettre la Russie dos au mur afin de la forcer à s’asseoir à la table des négociations sur un pied d’égalité a ses inconvénients. Il n’est pas facile de dire à un pays qui souffre de ce dont souffre l’Ukraine de se plier aux stratégies conservatrices. Si les États-Unis arment réellement l’Ukraine de manière à reprendre la Crimée – annexée illégalement par la Russie en 2014 – qui peut être sûr que ses troupes se tiendront effectivement à la frontière d’un territoire qui leur appartient ?
De même, si Washington change sa doctrine et autorise les HIMARS et les systèmes de missiles similaires à attaquer la péninsule, quelle réaction pourrait-on attendre de la Russie ? Une attaque nucléaire à grande échelle est hors de question, mais qu’en est-il de l’utilisation d’une sorte d’arme non conventionnelle qui forcerait la communauté internationale à réagir avec force ? La mise en cause de Poutine est délicate car nous ne savons pas comment il va réagir et nous craignons le pire. En même temps, l’apaisement n’a pas beaucoup aidé au fil des ans. Le dilemme est là et il comporte des risques. Washington semble prêt à les prendre..
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